Les Snats

Bureau d'études Faune Flore

Livre : Les carrières de Saint-Savinien

Auteur(s) : Ouvrage collectif - Date : 2006

« Petites histoires et secrets de chauves-souris »

Par Marc Carrière, extraits du livre: « Les carrières de Saint-Savinien »
Editions Le Passage des Heures, 2006
(Citation recommandée: Carrière M., 2006 – Petites histoires et secrets de chauves-souris, p. 48-57- in Téodosijévic M. (coord.), Les carrières de Saint-Savinien- Le Passage des Heures éd.: 69 p.)

grand rhino nb300

Qui dort dîne

Pour les animaux insectivores, l’hiver est une période très critique, car les proies sont rares.Pour supporter un jeûne de près de quatre mois, les chauves-souris ont mis au point une stratégie de survie très efficace : la léthargie. En ralentissant leur rythme cardiaque, et en abaissant leur température corporelle, les chauves-souris parviennent à économiser l’énergie, et à se passer de repas pendant la majeure partie de l’hiver. Ce sont les graisses accumulées en automne qui, en brûlant lentement, assurent le maintien des fonctions métaboliques. Ce mécanisme permet aux chauves-souris d’esquiver la période hivernale, toujours synonyme de disette.

 

 

panneau chiro400Do not disturb !

Personne n’aime être dérangé pendant son sommeil. Mais pour les chauves-souris, la tranquillité du sommeil hivernal est une question de vie ou de mort. Entrées en léthargie à la fin de l’automne, les chauves-souris ne reprendront une activité normale qu’à l’arrivée des beaux jours. Entre temps, tout réveil intempestif risque de leur coûter cher en calories. Pour passer de la température de la grotte (habituellement entre 0 et 10°C), à celle d’un animal en activité (environ 30°C), une chauve-souris devra dépenser l’équivalent de plusieurs dizaines de repas. De quoi limiter fortement les chances d’atteindre le printemps suivant.

 

scatopsides nb500Le meilleur des insecticides

Au cours d’une seule nuit, une chauve-souris consomme environ le quart de son poids en insectes. On a ainsi calculé qu’un Murin de Daubenton, qui chasse le plus souvent au-dessus de l’eau, pouvait prélever jusqu’à 60 000 moustiques pour se nourrir, entre le printemps et l’automne. Pour comparaison, il faudrait plusieurs vies à un homme, équipé de bombes insecticides, pour en tuer autant. Rapporté à l’échelle mondiale, ce prélèvement de nourriture représente l’équivalent de centaines de tonnes d’insectes. Des populations entières, régulées par les chiroptères, qui jouent donc un rôle majeur dans l’équilibre des écosystèmes, et dans la prévention des pullulations d’insectes indésirables. On imagine mal, en effet, quel serait l’inconfort de nos nuits sans ces précieux insectivores…

 

La malédiction des jumeaux

squelette chiro nb400Comme les autres mammifères, les chauves-souris doivent allaiter leur progéniture, jusqu’à ce qu’elle soit capable de voler et de se nourrir de façon autonome. Pour la maman pipistrelle, qui pèse à peine 10 grammes, cette fonction maternelle représente un gros sacrifice énergétique : il faudra compter 3 à 4 semaines pour le sevrage du petit, qui pèsera près de 4 grammes à l’envol. Dans ces conditions, l’arrivée de jumeaux n’est pas toujours bien vécue par la mère. Il arrive qu’elle abandonne purement et simplement l’un des deux rejetons, dans l’espoir d’augmenter les chances de survie du second. La découverte de squelettes de juvéniles, à proximité des colonies de mise bas, témoignent de cette forme très particulière  » d’instinct maternel « …

 

euclidia glyphica nb400Quand la Noctuelle se fait la belle

Parmi les insectes actifs la nuit, les Noctuelles sont des proies de choix pour les chauves-souris. Ces papillons nocturnes, de taille généralement respectable, sont appréciés des Oreillards, de la Barbastelle, ou encore du grand Rhinolophe. Pour les chiroptères, la capture de ces papillons n’est cependant pas toujours facile. Equipé d’un tympan situé à la jonction du thorax et de l’abdomen, les Noctuelles perçoivent les ultrasons émis par les chauves-souris en chasse, et sont ainsi averties du danger qui les guette. Cet accessoire auditif fort utile permet aux Noctuelles d’élaborer diverses stratégies pour échapper à leur prédateur : chute libre, looping à la façon d’une feuille morte, zigzag avec retraite rapide dans le couvert végétal… Certaines Noctuelles iraient même jusqu’à émettre des  » clics  » ultrasonores, de façon à brouiller le sonar de chasse des chauves-souris. Une sorte de guerre des ondes hautement sophistiquée, avec pour enjeu la vie sauve pour le papillon, ou l’assurance d’un bon repas pour la chauve-souris.

 

trou pic750L’Amadouvier, le Pic et la Noctule, ou comment résoudre la crise du logement

L’Amadouvier, comme d’autres Polypores, est un champignon parasite qui s’attaque aux arbres vieillissants. Rongeant le cœur du bois, il ramollit les tissus ligneux, et accélère le dépérissement de l’arbre. Ce même arbre devient alors un sujet intéressant pour les Pics, qui préfèrent creuser leur nid dans des arbres affaiblis, sur lesquels ils s’abîment moins le bec. L’abandon de ces cavités, après une ou plusieurs générations d’oiseaux, fournira un logement sur mesure aux Noctules et autres chauves-souris arboricoles qui, contrairement aux Pics, n’ont aucune aptitude pour la construction.

 

Voir avec ses oreilles

L’aptitude des chauves-souris à se déplacer librement dans l’obscurité la plus totale, a longtemps étonné les naturalistes. A la veille de la deuxième guerre mondiale, s’inspirant du sonar inventé par le physicien français Paul Langevin, un naturaliste américain a pu mettre en évidence le système original utilisé par les chauves-souris : l’écholocation. Les ultrasons émis par l’animal rebondissent sur les obstacles environnants, en formant un écho, qui est perçu par les oreilles de la chauve-souris. Celle-ci élabore une représentation auditive de l’espace qui l’entoure, par différence entre les trains d’ondes émis, et ceux réfléchis par les obstacles. Ce système est d’une grande précision, et procure aux chauves-souris une sorte de vision virtuelle en 3D, indépendamment de toute source lumineuse. A moins d’être sourde, il est donc peu probable qu’une chauve-souris vienne à se prendre dans les cheveux…

 

chat predateur350Mistigri, la terreur des chauves-souris

Dans la nature, les chauves-souris ont peu de prédateurs. La Chouette effraie en consomme en moyenne une tous les mille repas, soit une pression de prédation très faible. Les faucons, les carnivores de la famille des Mustélidés (fouine, martre…), et les serpents grimpeurs comme la couleuvre d’Esculape, peuvent en croquer très occasionnellement, mais le pire ennemi des chauves-souris reste incontestablement le chat domestique.Son aptitude à grimper, sa manie de jouer avec les proies, même s’il ne les consomme pas, et surtout la cohabitation fréquente des deux espèces dans les habitations, sont les principales règles d’un jeu dangereux : celui du chat… et de la chauve-souris.

 

petit rhino pendu500Le sommeil du pendu

Dormir la tête en bas, pendu par les pieds, n’est pas, à priori, une position confortable. Pour les chauves-souris cependant, cette posture est tout à fait naturelle, et leur permet de se reposer sans dépenser d’énergie. Par simple traction sur les tendons des pattes, sous l’effet du poids de l’animal, les griffes des pieds se rétractent, permettant ainsi l’accrochage passif de la chauve-souris, sans contraction musculaire. Dans certains cas, cet accrochage automatique est si solide, qu’il conserve l’animal suspendu à son support, même après sa mort. La chauve-souris momifiée pend alors du plafond de la grotte, dans une posture qui indique qu’elle est partie de sa belle mort, pendant son sommeil…

 

 

cadavre noctule500Armes de destruction massive

Atrazine, métolachlore, glyphosate, bentazone, diméthénamide, imazéthapyr, nicosulfuron, rimsulfuron… derrière ces noms barbares, se cachent des molécules chimiques redoutables, utilisées en agriculture pour lutter contre les espèces indésirables. Certaines visent plus particulièrement les plantes, qui rentrent en compétition avec les cultures, d’autres s’acharnent au contraire sur les insectes, les limaces ou les acariens. Mais toutes se retrouvent en un point ou un autre de l’écosystème, diluées dans la nappe phréatique, ou accumulées dans un chaînon de la pyramide alimentaire. Au passage, ces armes chimiques font d’innocentes victimes, et parmi celles-ci, les chauves-souris. Du fait de leur régime strictement insectivore, elles peuvent facilement succomber à un excès de proies contaminées, ou encore s’intoxiquer directement en s’abreuvant sur une flaque d’eau polluée au coin d’un champ. Des colonies entières sont parfois affectées, et les chances de reproduction peuvent chuter considérablement, sous l’action mutagène des molécules.Depuis longtemps, l’homme teste des produits chimiques sur des souris de laboratoire. Pourquoi ignorerait-il les effets franchement visibles sur les chauves-souris?

 

pipistrelle joint beton nb240pont autoroute nb300pont ancien nb300Dormir sous les ponts

Contrairement à l’homme, les chauves-souris aiment dormir sous les ponts. Elles y sont protégées des intempéries, et disposent d’une nourriture abondante, grâce aux nuées d’insectes qui se développent dans les habitats palustres adjacents. Les vieux ponts en pierre sont les logements les plus appréciés. Les interstices entre moellons sont nombreux et profonds, et assurent aux chauves-souris des abris sûrs, bien isolés thermiquement. Les ouvrages modernes sont également prisés par diverses espèces, qui utilisent les interstices de dilatation laissés entre les plaques de béton, ou encore les alvéoles des tabliers de viaducs autoroutiers. Dans ce dernier cas, il est vrai, les chauves-souris auront à déplorer un voisinage un peu bruyant…

 

 

pipistrelle volet.500jpgA l’ombre des jalousies

Pendant la journée, les chauves-souris sommeillent dans des endroits calmes, à l’abri de la lumière, et si possible hors de portée des prédateurs. Parmi les gîtes fréquemment occupés, les volets des façades bien exposées constituent des lieux de repos très appréciés. Pour les Pipistrelles, les meilleurs volets sont ceux qui offrent une surface rugueuse (bois ou fer, plutôt que PVC), et qui restent ouverts en permanence. Les volets des étages sont préférés à ceux du rez-de-chaussée, surtout lorsqu’ils sont du côté sud de l’habitation.Les Pipistrelles savent aussi s’adapter aux constructions modernes, et investissent parfois les coffrages des volets roulants, au risque, il est vrai, de se faire aplatir entre deux lattes, lors de la mise en route du volet.

 

detecteur400Contrôle radar

Identifier des animaux qui se déplacent dans le noir, sans faire le moindre bruit, paraît à priori difficile. Grâce aux détecteurs d’ultrasons, les naturalistes parviennent aujourd’hui à identifier les chauves-souris en vol, et même à préciser certains traits de leur comportement (chasse, cris sociaux…). Le principe consiste à rendre audible pour l’oreille humaine les signaux émis par les chiroptères, par l’intermédiaire d’un appareillage assez sophistiqué, mais malheureusement plutôt coûteux. Entendre le monde du silence vaut bien quelques sacrifices…

 

platanes800Le murmure du Platane

En arpentant les alignements de vieux platanes, surtout lorsqu’ils voisinent une rivière, on peut parfois entendre des sortes de grésillements aigus, qui semblent provenir des profondeurs de cavités situées en haut des arbres. Pour connaître l’auteur de ces bruits, il faudra patienter jusqu’au soir, et épier, à contre-jour, d’éventuels indices d’activités. Cet affût crépusculaire livrera la réponse au guetteur, sous forme de silhouettes furtives, s’échappant tour à tour des arbres cariés, pour entamer un balai aérien circulaire au delà de la cime des arbres. Ce sont des Noctules, qui sont assurément pour l’homme, les plus bruyantes des chauves-souris.

 

 

pipistrelledetour300

Après l’Angleterre, les « Pygmées » envahissent la France

A la fin des années 1990, les anglais ont été les premiers à montrer que la Pipistrelle commune avait une espèce jumelle, impossible à séparer par simple observation visuelle : la Pipistrelle pygmée. Aussi petite que sa consœur, cette Pipistrelle a été repérée à cause de son accent très aigu, révélé par l’emploi des détecteurs d’ultrasons (55 kilohertz, au lieu de 45 khz pour la Pipistrelle commune). Aussitôt rebaptisée Pipistrelle  » soprane « , cette petite chauve-souris a ensuite été découverte en France, puis dans presque toute l’Europe. La technologie d’écoute des ultrasons, et les études de génétique des populations ont conduit, au cours de ces dix dernières années, à la découverte de trois nouvelles espèces de chauves-souris en France (Pipistrelle pygmée, Murin d’Alcathoe, et Oreillard montagnard). Visiblement, le monde de la nuit n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets…

 

cavite600Nomad’s land

Le vaste réseau de cavités souterraines, qui s’étend sous Saint-Savinien et ses alentours, fournit aux chauves-souris d’importantes possibilités de refuges pour passer l’hiver au calme. En dehors de la période hivernale, ces sites sont également utilisés, régulièrement ou occasionnellement, par des individus migrateurs, des mâles ou des femelles à la recherche de partenaires, ou même par des espèces qui supportent la fraîcheur estivale des cavités, et qui peuvent y installer des nurseries entières. Une terre d’accueil souterraine, pour ces hôtes très discrets, saisonniers ou installés à l’année.

 

 

 

pont400Des p’tits trous, encore des p’tits trous…

Vieux murs, bâtiments anciens, ouvrages d’art, ponts et viaducs… tout ce qui peut présenter la moindre anfractuosité, le moindre recoin, fissure, ou blocs de pierres disjointes, est bon pour les chauves-souris. Les fentes les plus profondes serviront d’abri à plusieurs individus, parfois pendant une saison entière. Les petites fissures auront vocation de gîtes d’étapes, pour un ou quelques jours, le temps d’explorer les ressources en insectes du secteur. Ces trous sont surtout l’apanage des ouvrages anciens, hérités d’une époque ou le jointoiement se passait du ciment. De crainte qu’ils ne s’altèrent avec le temps, et finissent par s’écrouler, ces pièces architecturales sont souvent re-maçonnées, à grands renforts de mortier, déposé en couche épaisse à la truelle, ou à la machine à projeter. Des ouvrages qui deviennent ainsi pérennes, mais perdent, en revanche, tout intérêt pour les chauves-souris, quand ces dernières ne se retrouvent pas purement et simplement emmurées derrière le mortier. De la vieille pierre aux chiroptères, n’a-t-on pas pour objectif commun de conserver le patrimoine ?

 

La Sérotine est-elle séropositive ?

S’il est une question qui a fait couler beaucoup d’encre à propos des chauves-souris, c’est bien celle de la rage. Croyances séculaires aidant, les chiroptères ont souvent été suspectés d’être vecteur de la rage, au même titre que le chien, le renard, et d’autres carnivores. Qu’en est-il réellement ?En France, la mise en place d’un réseau de surveillance (veille sanitaire) date de la fin des années 60, après la découverte des premiers cas de rage vulpine à l’est du territoire national. Ce réseau a été étendu aux chiroptères à partir de 1989, puis renforcé à partir des années 2000. Depuis cette date, quelques centaines de chauves-souris ont été analysées par des laboratoires spécialisés, et douze Sérotines ont été diagnostiquées porteuses du virus rabique. A ce jour, aucun cas de transmission chez l’homme n’a été signalé en France. Les risques existent cependant, en particulier pour les quelques personnes exposées aux morsures de chauves-souris, lors des séances de captures au filet, ou lors de soins à des animaux blessés. Des risques qui restent néanmoins limités aux chiroptérologues, amateurs ou professionnels (soit au plus quelques centaines de personnes en France), se faisant mordre par une Sérotine (seule espèce de chauve-souris actuellement connue pour porter le virus, sur les 31 espèces recensées en France), laquelle Sérotine devra être contaminée par le virus (guère plus d’une chance sur cent)… un vrai sketch de Bigard !

 

moustique350Apéro dînatoire

Comme la fourmi de la fable, les chauves-souris doivent accumuler les réserves de nourriture pendant la saison favorable, lorsque grouillent les insectes. En été, des études de radio-pistage ont montré que ces mammifères volants passaient plus de 6 heures à chasser, soit la majeure partie de la nuit. Un long repas, qui se terminera peu avant l’aube, l’estomac gavé des tipules et autres diptères, lépidoptères ou arachnides. De quoi mériter leur surnom  » d’ogresses de la nuit  » !

 

crob grand rhino400Une famille qui parle du nez

Contrairement aux autres chauves-souris de nos régions, les Rhinolophes volent avec la bouche fermée. Cela aurait pu être embêtant pour se repérer par écholocation, s’ils n’avaient développé un système particulier pour émettre des ultrasons… par le nez !C’est un repli particulier de la peau, appelé feuille nasale, qui leur sert d’organe émetteur. La partie supérieure, au bas du front rappelle, par sa forme, un fer de lance, tandis que le repli inférieur, qui borde la bouche, a l’allure d’un fer à cheval. Cette analogie est sans doute à l’origine des divers noms populaires dont ont été affublées ces chauves-souris par le passé: Bifer, ou Rhinolophe petit fer à cheval (aujourd’hui le  » Petit Rhinolophe « ), Unifer, ou Rhinolphe grand fer à cheval ( » Grand Rhinolophe « ).

 

lumiere filtre400Les lumières de la ville

La compagnie des lanterniers, qui manœuvrait manuellement l’éclairage public au XVIIème siècle, aurait aujourd’hui fort à faire. Pour des raisons esthétiques ou sécuritaires, les lampadaires ont en effet colonisés la moindre place de village, la plus petite ruelle de quartier, diffusant pour quelques heures, les précieux watts nécessaires à notre confort nocturne. Un confort dont bénéficient, à notre insu, les chiroptères, puisqu’ils profitent de l’effet attractif des lampadaires sur les insectes, pour s’en taper une bonne tranche. Pourfendant gueule ouverte le halo des lumens, Pipistrelles, Sérotines et consorts plongent littéralement dans ce plancton aérien, et s’en délecte jusqu’à satiété… ou jusqu’à l’extinction des feux.